Les enfants influenceurs … vaste sujet entraînant débats et polémiques. Il y a les parents accusés « d’exploiter » leurs enfants à travers des contenus et via des chaines Youtube sans les rémunérer autrement qu’en gloire et cadeaux à gogo. Beaucoup ont été pointées du doigt ces dernières années, à tort ou à raison, en France mais surtout aux États-Unis. Et puis, il y a aussi la question de l’exposition des jeunes enfants (avec ou sans leur consentement – tant est qu’on puisse définir un âge où l’enfant est réellement conscient des conséquences de sa présence sur Internet…).
Entre les « bons élèves » qui ont pris conscience du malaise en amont, à minima pour des raisons éthiques et puis les autres. Certains consciemment et d’autres un peu moins… Nous entendons souvent des parents nous affirmer : « mon fils de 4 ans m’a dit oui pour que je poste sa photo sur instagram avec son nouveau jouet, il trouve ça marrant« . Comme toujours, il est difficile de poser des limites entre professionnalisme et « petit compte » plus personnel. Comme toujours, il est difficile de taper juste mais il était temps que les choses bougent vu la vitesse de développement de ces supports.
Prise de conscience politique face au vide juridique évident.
Car une chose est certaine, le vide juridique était indéniable. Autant la loi française encadre depuis de nombreuses années les petits artistes : acteurs, chanteurs, mannequins et autres, autant il n’y avait absolument rien pour les enfants influenceurs. Et c’est ce que qu’ont vite remarqué les associations de protection de l’enfance et Bruno Studer, président de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, rapporteur de la loi que Le Parlement vient d’adopter à l’unanimité et qui va désormais encadrer la pratique des enfants « influenceurs ».
Concrètement, quelles sont les nouvelles mesures ?
Il s’agit principalement d’encadrer les horaires et les revenus des mineurs de moins de 16 ans dont l’image est diffusée sur les plates-formes de vidéos. L’ampleur du phénomène de ces enfants « youtubeurs » est difficile à quantifier, mais Bruno Studer évoque « plusieurs dizaines de cas » et des revenus, jusqu’à 150 000 euros par mois, « qui permettent à certains parents » de cesser « toute activité ».
Désormais, dans les cas où la relation de travail est avérée, le texte prévoit d’étendre le dispositif déjà existant qui encadre le travail des enfants du spectacle et des enfants mannequins : les parents inscrivent leurs enfants dans une agence de mannequins et devront respecter des temps de « tournage » contraignants. L’enfant percevra une rémunération bloquée, jusqu’à sa majorité sur un compte à la Caisse des Dépôts et Consignations, quand il apparait dans des contenus sponsorisés par une marque.
Le rôle des intermédiaires/agences de communication du secteur
Evidemment qu’une photo mignonne avec un adorable bambin génère plus d’interaction avec sa communauté… bien sûr qu’il est difficile de faire la promotion d’un jouet sans le montrer en « action » avec un enfant ! Notre rôle en tant qu’agence de marketing d’influence, d’agence de communication mais aussi d’intermédiaire/agent est plus que jamais de veiller au respect de cette loi. Il nous faut désormais rappeler (et imposer) cette législation aux parents influenceurs qui ne seraient éventuellement pas encore au courant ou qui hésiteraient à le faire. C’est une question d’éthique, de respect pour les enfants qui, même s’ils « s’amusent », doivent pouvoir percevoir les retombées financières de leur image, de leur travail.
Des marques concernées: l’initiative d’HASBRO
Hasbro a légèrement devancé la législation avec sa charte « Kid influenceur ».
« En anticipation d’un cadre réglementaire prochain, à l’initiative d’Hasbro, la FJP et les acteurs de la filière jeu/jouet lancent une charte de bonnes pratiques de collaboration avec les influenceurs mineurs. Avant chaque collaboration, qu’elle soit financière, en nature ou gratuite, les signataires de la charte devront s’assurer que l’enfant respecte chaque critère listé dans cette dernière. »
La charte, également signée par la Fédération des Commerces Spécialistes des Jouets et des Produits de l’Enfant (FCJPE), vise à vérifier avant toute collaboration avec un enfant influenceur le respect de ces critères : le respect de l’ARPP (mention que le contenu est sponsorisé par une marque), le respect de l’intérêt et de l’intégrité de l’enfant (choix, scolarisation et contenu irréprochable priment), le respect des horaires de tournage et, en cas de rémunération, l’inscription de l’enfant dans une agence de mannequin. (source LSA)
Des agences d’influenceurs avisées
D’autres acteurs ont su anticiper la législation en imposant aux marques avec lesquels ils travaillaient de prévoir une rémunération pour l’image des enfants présents sur les publications sponsorisées. Leurs « talents » influenceurs devant, de leur côté, inscrire leurs enfants en agence de mannequins afin de permettre la rédaction de contrat et la rémunération sur compte bloqué. C’est le cas de Just GO Agency qui gère la « carrière » d’influenceurs parents comme Julie Fleur en Sucre ou encore Daddy Poule. Mais également l’agence Made in. Sophie Benarab, vice-présidente nous précise : « On s’est interrogé sur le cadre légal quand des marques ont exigé que les enfants soient présents sur les contenus sponsorisés ce qui nous paraissait pas vraiment moral … On s’est renseigné auprès des parents de Swanthevoice qui avaient déjà pris toutes les mesures nécessaires et auprès d’une avocate qui nous a indiqué la marche à suivre pour protéger les enfants. »
Quid des influenceurs non affiliés
Les agences de talents ou d’influence imposent donc désormais ces modalités. Qu’en est-il des influenceurs « électrons libres » qui restent encore très majoritaires notamment parmi les middle et micro-influenceurs. Ils reçoivent des demandes de partenariats et négocient directement avec les marques ou leurs représentants. Suivent-ils cette réglementation ? Rémunèrent-ils leurs enfants lorsqu’ils apparaissent dans un post ou une vidéo sponsorisée ? Sophie Benarab pointe déjà du doigt un « nouveau vide juridique » : « La loi cible davantage YouTube et les chaînes d’enfants afin de les mettre dans un contexte légal, mais pas vraiment les enfants d’influenceurs famille (donc majoritairement sur instagram) qui n’ont souvent pas connaissance du cadre légal (ou pas envie de s’y contraindre). »
On le comprend, le sujet est bien loin d’être clos. Cette loi est tout de même une avancée notable qui vise à protéger les enfants influenceurs/youtubeurs dans le développement de leurs supports. Il reste à éduquer certains parents, expliquer, rappeler le droit à l’image et l’importance du consentement et du droit à l’oubli numérique… pour éviter les multiples procès qui risquent de pulluler quand ces enfants – génération crash test des réseaux sociaux – deviendront adultes !
EDIT du 27 janvier 2022 : le décret d’application précisant les contours de cette loi, et notamment le plus important la définition du mot « travail » (heures passées par l’enfant à être briefé et utilisé en vidéo/photos), n’est toujours pas sorti. La Caisse des Dépôts et Consignation nous le confirme. Actuellement la loi ne peut pas être appliquée. « Nous attendons le décret actuellement rédigé au Conseil d’Etat »